Classe de 4ème
Séquence 1 : La poésie lyrique
Définition de la poésie lyrique
Lyrisme :
« La poésie lyrique est dans un
premier temps une poésie chantée, accompagnée d’abord à la lyre, puis par tout
autre instrument, comme l’a d’ailleurs été la poésie jusqu’au XVème siècle. Les
genres hérités de l’Antiquité (ode, élégie, ïambe) appartiennent à la poésie
lyrique, mais aussi des formes fixes comme le sonnet. Au début du XIXème
siècle, la notion de lyrisme en poésie met l’accent sur un aspect qui se
faisait déjà jour depuis l’Antiquité – l’expression de sentiments personnels,
favorisés par la montée du romantisme. C’est ainsi que, en abandonnant la
référence concrète à la musique pour n’en plus garder que l’idée d’harmonie et
de mélodie, le lyrisme désigne plutôt en poésie une subjectivité vibrante et une
émotion personnelle (amour, élan religieux, admiration devant la nature,
etc.) »
Lexique des termes littéraires, Livre de poche
Séance 1
La naissance de la poésie romane
La poésie
lyrique en langue romane naît au tout début du XIème siècle en langue d’oc (ou occitan) sous la
plume des troubadours (de l’occitan « trobar » : trouver). Le
premier troubadour connu est le Comte de
Poitiers et Duc d’Aquitaine, Guillaume IX. La poésie des troubadours est la
première poésie rimée, elle est chantée par des jongleurs* et accompagnée d’un instrument (luth).
Le thème de prédilection des poèmes des troubadours est
l’amour. Il s’agit de l’amour du poète
pour une Dame, d’un rang social plus élevé que lui, généralement mariée, et
qu’il idéalise. Elle domine la volonté du poète, décide ou non de lui, accorder
son amour. La civilisation des troubadours qui a duré deux siècles (environ
1100-1300) était fondée sur cette relation poétique qu’on appelait fin’amor,
base de l’amour courtois.
Séance 2
La poésie romantique
Le mouvement
littéraire romantique naît en Allemagne à la fin du XVIIIème siècle.
Il se développe en France dans la
première moitié du XIXème siècle autour de la figure emblématique de Victor Hugo, chef de file et principal
représentant. D’autres écrivains (Lamartine, Musset, Nerval, Gautier…)
marquent la poésie romantique.
Il s’agit d’une poésie qui s’intéresse au mysticisme (Nerval) à l’expression du Moi (Lamartine, et la
plupart), des passions et sentiments
extrêmes. C’est également une poésie qui recherche la liberté dans ses thèmes comme dans ses formes poétiques (découverte du poème
en prose par Aloysius Bertrand, nouvelle vogue du sonnet et redécouverte de
formes poétiques médiévales oubliées chez Hugo et d’autres).
Séance 3
Etude de poèmes : Fantaisie (Nerval) et Le Lac (Lamartine)
Le poème de
Nerval est lyrique car il dévoile le monde
intérieur du Poète, ses émotions personnelles (expression du Moi) sa
subjectivité à travers des modalisateurs
(« je crois voir », « peut-être ») mais aussi une musicalité (thème de l’air, travail des
jeux sonores, allitérations et assonances du poème) qui pour l’auteur est mystique (cf. l’étymologie du mot
« charme » qui renvoyait à l’Antiquité à un chant incantatoire). Le
poème évoque d’ailleurs la croyance dans la métempsychose (réincarnation) pour expliquer les souvenirs
mystérieux d’une autre époque. La brièveté
du texte (4 quatrains) est aussi
signe du lyrisme du XIXème siècle.
Le
Lac est le plus célèbre exemple de poème lyrique romantique.
Il est tiré des Méditations métaphysiques (1820), recueil de poème d’Alphonse
de Lamartine qui lui apporta la gloire poétique.
Dans ce poème de 16 quatrains (composés de 3 alexandrins
et d’un hexamètre), le poète revient s’adresse
au lac pour évoquer le souvenir d’une femme aimée, désormais décédée et avec
qui il avait passé des moments heureux un an avant sur ce même lac. Dans une analepse sous forme de poème enchâssé* (poème à l’intérieur du
poème), la jeune femme aimée s’adressait
au temps d’une manière semblable à l’adresse du poète au lac (« Ô temps ! » ;
« Ô lac !) ; ce procédé entraîne des jeux de miroirs dans la
construction du poème. Le Lac constitue réflexion sur le
temps où le poète s’adresse à la nature qu’il considère comme le témoin vivant des
bonheurs humains qui ont fui.
Séance 4
La poésie des poètes maudits
On regroupe sous cette expression de Poètes Maudits, un
certain nombre d’auteurs de la deuxième moitié du dix-neuvième siècle dont
l’écriture exprime le conflit du poète avec la société. Cette opposition aux
valeurs bourgeoises de la société créé généralement un refus de cette dernière
à leur égard et parfois des scandales. Ainsi, le précurseur des Poètes Maudits,
est Baudelaire dont le recueil Les Fleurs du Mal avait été condamné par la justice en 1857 (6
poèmes du recueil sont interdits.
Les principaux Poètes Maudits sont Mallarmé, Rimbaud,
Tristan Corbière et Verlaine lui-même. Ils écrivent une génération après
Baudelaire que la plupart d’entre eux reconnaissent comme leur maître. Ils
créent une poésie qui joue avec les
références au lyrisme (se considérant parfois comme anti-lyrique ou comme un lyrisme
impersonnel: « Je est un
autre » écrit notamment Arthur Rimbaud).
Séance 5
La ballade des pendus
François Villon (1431-1465) est
l’un des poètes français les plus importants du Moyen Age. Après avoir étudié
les langues classiques et le droit, il deviendra poète et voleur. Bien qu’on
n’en ait aucune preuve irréfutable, il est probable que Villon ait écrit la Ballade
des Pendus en prison, peut-être en attendant sa condamnation à mort, ce
que le titre « Epitaphe Villon » suggère.
Ce poème est une ballade sur un schéma de rime unique, répété trois fois, comportant un refrain sur un vers puis s’achevant
sur une quatrième strophe conclusive. Le thème développé est l’imploration par
les morts (dont Villon se fait le porte parole) du pardon des vivants et de
Jésus Christ. Le poème utilise la forme laïque de la ballade mais emprunte aussi au registre
religieux de la prière (le refrain s’inspire des litanies). Le poème joue sur le
contraste entre la description des
souffrances terribles des morts et l’appel à la miséricorde et à la compassion.
Il est d’un lyrisme particulier pour l’époque, à la fois personnel et universel
(il parle pour lui et pour tous les pendus).
Textes-support :
Dans la douceur de la prime
saison
Les arbres se couvrent de
feuilles, et les oiseaux
Chantent, chacun en son
langage,
Selon le rythme d’un chant
nouveau.
Il est donc juste que chacun
se réjouisse
De ce qu’il désire le plus.
De là-bas où est toute ma
joie,
Je ne vois venir ni message
ni lettre scellée
Aussi je ne dors ni ne ris
Ni n’ose faire un pas de plus
Jusqu’à ce que je sache bien
si l’issue
En est bien comme je désire.
Il en est de notre amour
Comme la branche d’aubépine
Qui se dessèche sur l’arbuste
La nuit, sous le gel et la
pluie,
Jusqu’au lendemain quand le
soleil inonde
Ses feuilles vertes et ses
rameaux.
Il me souvient encore de ce
matin
Où nous mîmes fin à la guerre
Et qu’elle me fit un si grand
don:
Son amour et son anneau;
Que Dieu me donne encore
assez de vie
Pour que j’aie mes mains sous
son manteau.
Guillaume IX d’Aquitaine
[Texte original en occitan :
Repérez les mots qui vous semblent
proche du français.
Ab la
dolchor del temps novel
foillo li bosc, e li aucel
chanton chascus en lor lati
segon lo vers del novel chan;
adonc esta ben c'om s'aisi
d'acho don hom a plus tal an.
De lai don plus m'es bon e bel
non vei mesager ni sagel,
per que mos cors non dorm ni ri,
ni no m'aus traire adenan,
tro qu'ieu sacha ben de fi
s'el' es aissi com eu deman.
La nostr' amor vai enaissi
com la branca de l'albespi
qu'esta sobre l'arbre tremblan,
la nuoit, a la ploja ez al gel,
tro l'endeman, que·l sols s'espan
per las fueillas verz e·l ramel.
Enquer me membra d'un mati
que nos fezem de guerra fi,
e que·m donet un don tan gran,
sa drudari' e son anel:
enquer me lais Dieus viure tan
c'aja mas manz soz so mantel.]
foillo li bosc, e li aucel
chanton chascus en lor lati
segon lo vers del novel chan;
adonc esta ben c'om s'aisi
d'acho don hom a plus tal an.
De lai don plus m'es bon e bel
non vei mesager ni sagel,
per que mos cors non dorm ni ri,
ni no m'aus traire adenan,
tro qu'ieu sacha ben de fi
s'el' es aissi com eu deman.
La nostr' amor vai enaissi
com la branca de l'albespi
qu'esta sobre l'arbre tremblan,
la nuoit, a la ploja ez al gel,
tro l'endeman, que·l sols s'espan
per las fueillas verz e·l ramel.
Enquer me membra d'un mati
que nos fezem de guerra fi,
e que·m donet un don tan gran,
sa drudari' e son anel:
enquer me lais Dieus viure tan
c'aja mas manz soz so mantel.]
Le lac
Ainsi, toujours poussés vers de nouveaux rivages,
Dans la nuit éternelle emportés sans retour,
Ne pourrons-nous jamais sur l'océan des âges
Jeter l'ancre un seul jour ?
Ô lac ! l'année à peine a fini sa carrière,
Et près des flots chéris qu'elle devait revoir,
Regarde ! je viens seul m'asseoir sur cette pierre
Où tu la vis s'asseoir !
Tu mugissais ainsi sous ces roches profondes,
Ainsi tu te brisais sur leurs flancs déchirés,
Ainsi le vent jetait l'écume de tes ondes
Sur ses pieds adorés.
Un soir, t'en souvient-il ? nous voguions en silence ;
On n'entendait au loin, sur l'onde et sous les cieux,
Que le bruit des rameurs qui frappaient en cadence
Tes flots harmonieux.
Tout à coup des accents inconnus à la terre
Du rivage charmé frappèrent les échos ;
Le flot fut attentif, et la voix qui m'est chère
Laissa tomber ces mots :
" Ô temps ! suspends ton vol, et vous, heures propices !
Suspendez votre cours :
Laissez-nous savourer les rapides délices
Des plus beaux de nos jours !
" Assez de malheureux ici-bas vous implorent,
Coulez, coulez pour eux ;
Prenez avec leurs jours les soins qui les dévorent ;
Oubliez les heureux.
" Mais je demande en vain quelques moments encore,
Le temps m'échappe et fuit ;
Je dis à cette nuit : Sois plus lente ; et l'aurore
Va dissiper la nuit.
" Aimons donc, aimons donc ! de l'heure fugitive,
Hâtons-nous, jouissons !
L'homme n'a point de port, le temps n'a point de rive ;
Il coule, et nous passons ! "
Temps jaloux, se peut-il que ces moments d'ivresse,
Où l'amour à longs flots nous verse le bonheur,
S'envolent loin de nous de la même vitesse
Que les jours de malheur ?
Eh quoi ! n'en pourrons-nous fixer au moins la trace ?
Quoi ! passés pour jamais ! quoi ! tout entiers perdus !
Ce temps qui les donna, ce temps qui les efface,
Ne nous les rendra plus !
Éternité, néant, passé, sombres abîmes,
Que faites-vous des jours que vous engloutissez ?
Parlez : nous rendrez-vous ces extases sublimes
Que vous nous ravissez ?
Ô lac ! rochers muets ! grottes ! forêt obscure !
Vous, que le temps épargne ou qu'il peut rajeunir,
Gardez de cette nuit, gardez, belle nature,
Au moins le souvenir !
Qu'il soit dans ton repos, qu'il soit dans tes orages,
Beau lac, et dans l'aspect de tes riants coteaux,
Et dans ces noirs sapins, et dans ces rocs sauvages
Qui pendent sur tes eaux.
Qu'il soit dans le zéphyr qui frémit et qui passe,
Dans les bruits de tes bords par tes bords répétés,
Dans l'astre au front d'argent qui blanchit ta surface
De ses molles clartés.
Que le vent qui gémit, le roseau qui soupire,
Que les parfums légers de ton air embaumé,
Que tout ce qu'on entend, l'on voit ou l'on respire,
Tout dise : Ils ont aimé !
Dans la nuit éternelle emportés sans retour,
Ne pourrons-nous jamais sur l'océan des âges
Jeter l'ancre un seul jour ?
Ô lac ! l'année à peine a fini sa carrière,
Et près des flots chéris qu'elle devait revoir,
Regarde ! je viens seul m'asseoir sur cette pierre
Où tu la vis s'asseoir !
Tu mugissais ainsi sous ces roches profondes,
Ainsi tu te brisais sur leurs flancs déchirés,
Ainsi le vent jetait l'écume de tes ondes
Sur ses pieds adorés.
Un soir, t'en souvient-il ? nous voguions en silence ;
On n'entendait au loin, sur l'onde et sous les cieux,
Que le bruit des rameurs qui frappaient en cadence
Tes flots harmonieux.
Tout à coup des accents inconnus à la terre
Du rivage charmé frappèrent les échos ;
Le flot fut attentif, et la voix qui m'est chère
Laissa tomber ces mots :
" Ô temps ! suspends ton vol, et vous, heures propices !
Suspendez votre cours :
Laissez-nous savourer les rapides délices
Des plus beaux de nos jours !
" Assez de malheureux ici-bas vous implorent,
Coulez, coulez pour eux ;
Prenez avec leurs jours les soins qui les dévorent ;
Oubliez les heureux.
" Mais je demande en vain quelques moments encore,
Le temps m'échappe et fuit ;
Je dis à cette nuit : Sois plus lente ; et l'aurore
Va dissiper la nuit.
" Aimons donc, aimons donc ! de l'heure fugitive,
Hâtons-nous, jouissons !
L'homme n'a point de port, le temps n'a point de rive ;
Il coule, et nous passons ! "
Temps jaloux, se peut-il que ces moments d'ivresse,
Où l'amour à longs flots nous verse le bonheur,
S'envolent loin de nous de la même vitesse
Que les jours de malheur ?
Eh quoi ! n'en pourrons-nous fixer au moins la trace ?
Quoi ! passés pour jamais ! quoi ! tout entiers perdus !
Ce temps qui les donna, ce temps qui les efface,
Ne nous les rendra plus !
Éternité, néant, passé, sombres abîmes,
Que faites-vous des jours que vous engloutissez ?
Parlez : nous rendrez-vous ces extases sublimes
Que vous nous ravissez ?
Ô lac ! rochers muets ! grottes ! forêt obscure !
Vous, que le temps épargne ou qu'il peut rajeunir,
Gardez de cette nuit, gardez, belle nature,
Au moins le souvenir !
Qu'il soit dans ton repos, qu'il soit dans tes orages,
Beau lac, et dans l'aspect de tes riants coteaux,
Et dans ces noirs sapins, et dans ces rocs sauvages
Qui pendent sur tes eaux.
Qu'il soit dans le zéphyr qui frémit et qui passe,
Dans les bruits de tes bords par tes bords répétés,
Dans l'astre au front d'argent qui blanchit ta surface
De ses molles clartés.
Que le vent qui gémit, le roseau qui soupire,
Que les parfums légers de ton air embaumé,
Que tout ce qu'on entend, l'on voit ou l'on respire,
Tout dise : Ils ont aimé !
Alphonse de Lamartine
L’Albatros
Souvent, pour s'amuser, les
hommes d'équipage
Prennent des albatros, vastes
oiseaux des mers,
Qui suivent, indolents
compagnons de voyage,
Le navire glissant sur les
gouffres amers.
À peine les ont-ils déposés sur les planches,
Que ces rois de l'azur,
maladroits et honteux,
Laissent piteusement leurs
grandes ailes blanches
Comme des avirons traîner à
côté d'eux.
Ce voyageur ailé, comme il est gauche et veule !
Lui, naguère si beau, qu'il
est comique et laid !
L'un agace son bec avec un
brûle-gueule,
L'autre mime, en boitant,
l'infirme qui volait !
Le Poète est semblable au prince des nuées
Qui hante la tempête et se
rit de l'archer ;
Exilé sur le sol au milieu
des huées,
Ses ailes de géant
l'empêchent de marcher.
Charles
Baudelaire
L'ennemi
Ma jeunesse ne fut qu'un ténébreux orage,
Traversé çà et là par de brillants soleils;
Le tonnerre et la pluie ont fait un tel ravage,
Qu'il reste en mon jardin bien peu de fruits vermeils.
Voilà que j'ai touché l'automne des idées,
Et qu'il faut employer la pelle et les râteaux
Pour rassembler à neuf les terres inondées,
Où l'eau creuse des trous grands comme des tombeaux.
Et qui sait si les fleurs nouvelles que je rêve
Trouveront dans ce sol lavé comme une grève
Le mystique aliment qui ferait leur vigueur ?
- O douleur! ô douleur! Le Temps mange la vie,
Et l'obscur Ennemi qui nous ronge le cœur
Du sang que nous perdons croît et se fortifie !
Charles Baudelaire
L'Épitaphe de Villon ou " Ballade des pendus "
Frères humains, qui après nous vivez,
N'ayez les coeurs contre nous endurcis,
Car, si pitié de nous pauvres avez,
Dieu en aura plus tôt de vous mercis.
Vous nous voyez ci attachés, cinq, six :
Quant à la chair, que trop avons nourrie,
Elle est piéça dévorée et pourrie,
Et nous, les os, devenons cendre et poudre.
De notre mal personne ne s'en rie ;
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !
Se frères vous clamons, pas n'en devez
Avoir dédain, quoique fûmes occis
Par justice. Toutefois, vous savez
Que tous hommes n'ont pas bon sens rassis.
Excusez-nous, puisque sommes transis,
Envers le fils de la Vierge Marie,
Que sa grâce ne soit pour nous tarie,
Nous préservant de l'infernale foudre.
Nous sommes morts, âme ne nous harie,
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !
La pluie nous a débués et lavés,
Et le soleil desséchés et noircis.
Pies, corbeaux nous ont les yeux cavés,
Et arraché la barbe et les sourcils.
Jamais nul temps nous ne sommes assis
Puis çà, puis là, comme le vent varie,
A son plaisir sans cesser nous charrie,
Plus becquetés d'oiseaux que dés à coudre.
Ne soyez donc de notre confrérie ;
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !
Prince Jésus, qui sur tous a maistrie,
Garde qu'Enfer n'ait de nous seigneurie :
A lui n'ayons que faire ne que soudre.
Hommes, ici n'a point de moquerie ;
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !
N'ayez les coeurs contre nous endurcis,
Car, si pitié de nous pauvres avez,
Dieu en aura plus tôt de vous mercis.
Vous nous voyez ci attachés, cinq, six :
Quant à la chair, que trop avons nourrie,
Elle est piéça dévorée et pourrie,
Et nous, les os, devenons cendre et poudre.
De notre mal personne ne s'en rie ;
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !
Se frères vous clamons, pas n'en devez
Avoir dédain, quoique fûmes occis
Par justice. Toutefois, vous savez
Que tous hommes n'ont pas bon sens rassis.
Excusez-nous, puisque sommes transis,
Envers le fils de la Vierge Marie,
Que sa grâce ne soit pour nous tarie,
Nous préservant de l'infernale foudre.
Nous sommes morts, âme ne nous harie,
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !
La pluie nous a débués et lavés,
Et le soleil desséchés et noircis.
Pies, corbeaux nous ont les yeux cavés,
Et arraché la barbe et les sourcils.
Jamais nul temps nous ne sommes assis
Puis çà, puis là, comme le vent varie,
A son plaisir sans cesser nous charrie,
Plus becquetés d'oiseaux que dés à coudre.
Ne soyez donc de notre confrérie ;
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !
Prince Jésus, qui sur tous a maistrie,
Garde qu'Enfer n'ait de nous seigneurie :
A lui n'ayons que faire ne que soudre.
Hommes, ici n'a point de moquerie ;
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !
François
Villon
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