Citation de la semaine

« Les langues ont toujours du venin à répandre. », Molière, Tartuffe

mercredi 10 avril 2013

4ème3/4ème4 ,Séance 4"Le portrait « archétype » : Esméralda"


Le portrait « archétype » : Esméralda


Livre 2. Chap. 3 – Portrait d’Esméralda

Dans un vaste espace laissé libre entre la foule et le feu, une jeune fille dansait.
Si cette jeune fille était un être humain, ou une fée, ou un ange, c’est ce que Gringoire, tout philosophe sceptique, tout poète ironique qu’il était, ne put décider dans le premier moment tant il fut fasciné par cette éblouissante vision.

Elle n’était pas grande mais elle le semblait tant sa fine taille s’élançait hardiment. Elle était brune, mais on devinait que le jour sa peau devait avoir ce beau reflet doré des Andalouses et des Romaines. Son petit pied aussi était andalou car il était tout ensemble à l’étroit et à l’aise dans sa gracieuse chaussure. Elle dansait, elle tournait, elle tourbillonnait sur un vieux tapis de Perse, jeté négligemment sous ses pieds ; et chaque fois qu’en tournoyant sa rayonnante figure passait devant vous, ses grands yeux noirs vous jetaient un éclair. Autour d’elle tous les regards étaient fixes, toutes les bouches ouvertes, et, en effet, tandis qu’elle dansait ainsi, au bourdonnement du tambour de basque que ses deux bras ronds et purs élevaient au-dessus de sa tête, mince, frêle et vive comme une guêpe, avec son corsage d’or sans pli, sa robe bariolée qui se gonflait avec ses épaules nues, ses jambes fines que sa jupe découvrait par moments, ses cheveux noirs, ses yeux de flamme, c’était une surnaturelle créature.

 - En vérité, pensa Grégoire, c’est une salamandre, c’est une nymphe, c’est une déesse, c’est une bacchante du mont Mélanéen !

En ce moment une des nattes de la chevelure de la « salamandre » se détacha, et une pièce de cuivre jaune qui y était attachée roula à terre. - Hé non, dit-il, c’est une bohémienne.
Toute illusion avait disparu.

                                                                                              Victor Hugo. Notre-Dame de Paris



Portrait de Carmen

Au début de la nouvelle Carmen, le narrateur rencontre une jeune femme, alors qu’il se promène sur les quais, à Cordoue, en Espagne. Il l’invite à aller prendre une glace dans un café.

Tout en causant, nous étions entrés dans la neveria, et nous nous étions assis à une petite table éclairée par une bougie enfermée dans un globe de verre. J’eus alors tout le loisir d’examiner ma gitana, pendant que quelques honnêtes gens s’ébahissaient, en prenant leurs glaces, de me voir en si bonne compagnie.
Je doute fort que mademoiselle Carmen fût de race pure, du moins elle était infiniment plus jolie que toutes les femmes de sa nation que j’aie jamais rencontrées. Pour qu’une femme soit belle, disent les Espagnols, il faut qu’elle réunisse trente si, ou, si l’on veut, qu’on puisse la définir au moyen de dix adjectifs applicables chacun à trois parties de sa personne. Par exemple, elle doit avoir trois choses noires : les yeux, les paupières et les sourcils ; trois fines, les doigts, les lèvres, les cheveux, etc (...)
Ma bohémienne ne pouvait prétendre à tant de perfection. Sa peau, d’ailleurs parfaitement unie, approchait fort de la teinte du cuivre. Ses yeux étaient obliques, mais admirablement fendus ; ses lèvres un peu fortes, mais bien dessinées et laissant voir des dents plus blanches que des amandes sans leur peau. Ses cheveux, peut-être un peu gros, étaient noirs, à reflets bleus comme l’aile d’un corbeau, longs et luisants. Pour ne pas vous fatiguer d’une description trop prolixe, je vous dirai en somme qu’à chaque défaut elle réunissait une qualité qui ressortait peut-être plus fortement par le contraste. C’était une beauté étrange et sauvage, une figure qui étonnait d’abord, mais qu’on ne pouvait oublier. Ses yeux surtout avaient une expression à la fois voluptueuse et farouche que je n’ai trouvée depuis à aucun regard humain. Œil de bohémien, œil de loup, c’est un dicton espagnol qui dénote une bonne observation. Si vous n’avez pas le temps d’aller au jardin des Plantes pour étudier le regard d’un loup, considérez votre chat quand il guette un moineau.
    
On sent qu’il eût été ridicule de se faire tirer la bonne aventure dans un café. Aussi je priai la jolie sorcière de me permettre de l’accompagner à son domicile.

                                                                                                Prosper Mérimée, Carmen



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